Tandis que la presse publie une large part du dessous des cartes diplomatiques, à l’appui d’informations géostratégiques sensibles constituées de télégrammes émanant d’ambassades américaines au cours des six dernières années, dont le site Internet WikiLeaks est – semble-t-il – entré en possession par le biais d’une source de l’armée américaine désormais identifiée, il peut être opportun de s’interroger quant à savoir si la France dispose de moyens juridiques de rétorsion comme les Etats-Unis prétendent vouloir en user contre le fondateur de WikiLeaks.
Si le portrait de ce dernier est actuellement abondamment dressé dans les médias, le faisant passer pour un libertaire soucieux de transparence absolue, l’inconnue réside encore dans les véritables motivations de l’auteur de ces révélations, à savoir est-ce l’agissement d’un provocateur naïf ou une manipulation dûment orchestrée pour créer le tumulte dans le concert des nations ?
En effet, nous ne savons pas encore à qui profite le crime, si ce n’est que de telles divulgations ébranlent très sérieusement la diplomatie mondiale à coups de révélations fracassantes.
Puisque le terme de crime est donc employé, il convient de s’arrêter sur les sanctions pénales qui seraient encourues en France si l’atteinte avait été portée aux documents du Quai d’Orsay.
Nous n’avons pas ici à trancher si une sanction de cette nature serait légitime. Toutefois il demeure évident qu’en application du principe impérieux de la Raison d’Etat, notion régalienne ayant des accents bien gaulliens à l’heure où l’on célèbre les 40 ans de la mort du fondateurs de la Ve République, les autorités supérieures sont fondées à protéger par la confidentialité certains pans de leur fonctionnement, justifiant notamment les classifications de type « secret défense »1 également largement évoquées dans l’affaire des rétrocessions de commission de vente d’armes au Pakistan (autrement appelée « affaire de l’attentat de Karachi »).
Dans le même ordre d’esprit, nous croyons à l’intérêt légitime et supérieur pour une entreprise de protéger ses secrets d’affaires.
Pour revenir à la problématique WikiLeaks, s’agissant de la défense des intérêts supérieurs de la nation française, le livre quatrième du Code pénal réprime les crimes et délits contre la nation, l’état et la paix publique.
L’article 410-1 du Code pénal sanctionne précisément l’atteinte aux intérêts de la nation, lesquels se définissent comme « son indépendance, l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel ».
Partant de cette vaste énonciation des intérêts fondamentaux, l’article 411-6 du même code réprime à hauteur de 15 ans de détention criminelle et de 225.000 € d’amende, le fait de livrer ou de rendre accessible à une puissance étrangère de tels renseignements d’état.
L’article 441-7 du Code pénal sanctionne le fait de recueillir ou de rassembler – autrement dit de collecter – des informations portant atteinte aux intérêts de la nation en vue de le livrer à une puissance étrangère. Ce crime est passible de 10 années d’emprisonnement et de 150.000 € d’amende.
Ces textes n’ont pourtant été mis en œuvre que très rarement, compte tenu de la qualification des faits retenus qui demeurent relativement résiduels, comme les affaires de terrorisme international.
Signalons cependant que dans l’affaire Michelin, l’ex-salarié avait notamment été poursuivi sur ce fondement. Outre le fait que ce crime avait été « correctionnalisé », si le procureur avait requis une sanction au titre de cette disposition pénale, le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand l’axait relaxé de ce chef de poursuite au motif que la tentative de révélation de secrets d’affaires « était plus dictée par la considération qu’il s’agissait de concurrents directs de la Manufacture MICHELIN que par celle qu’il s’agissait d’entreprises étrangères »2, d’une part, et que les éléments recueillis au cours de l’instruction ne présentaient pas, selon le tribunal, « un caractère à ce point stratégique qu’elle mettaient en jeu des éléments essentiels du potentiel économique français. »3
Cela démontre qu’il est très délicat de mettre en œuvre un tel dispositif, ainsi que cela a été récemment évoqué à l’occasion du colloque qui s’est tenu à l’Assemblée Nationale le 18 octobre 2010.
Sources:
1 La France compte 4 niveaux de classification, du plus accessible au plus « étanche » : contrôle élémentaire, confidentiel défense, secret défense et très secret défense.
2 Le Tribunal a donc estimé en d’autres termes que la tentative de vente relevait plus d’une intention de nuire que d’une volonté de s’enrichir.
3 Jugement correctionnel du 21/06/2010, TGI de Clermont-Fd, non publié.