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L’affaire Michelin fera-t-elle jurisprudence en matiére d’espionnage industrielle ?

L’ex-ingénieur Michelin, qui avait tenté de vendre à la concurrence des secrets d’affaires stratégiques qu’il s’était approprié au sein de la Manufacture de pneumatiques, comparaissait devant le Tribunal Correctionnel de Clermont-Ferrand, le 3 mai 2010.

Le prévenu était renvoyé en correctionnelle aux termes de l’ordonnance pour :

  1. « Livraison à une entreprise étrangère de renseignements dont l’exploitation et la divulgation sont de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » (art. 411-6 du Code Pénal), qui se traduit par le fait de recueillir et de collecter en vue de livrer ou de rendre accessible à une puissance étrangère, à une entreprise ou à une organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents des renseignements, procédés, objets, données informatisées ou fichiers dont l’exploitation, la divulgation ou la réunion est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation et qui est puni de 15 ans de détention criminelle et de 225.000 euros d’amende, au plus.
  2. « La violation des secrets de fabrication » (art. L. 1227-1 du Code du travail), qui prévoit une peine d’emprisonnement de 2 ans et de 30.000 euros d’amende, au plus, pour tout directeur ou salarié d’une entreprise qui révélerait ou de tenterait de révéler de fabrication.
  3. « Abus de confiance » (art.314-1 du code pénal) condamnant toute personne qui aurait détourné au préjudice d’autrui, des fonds, des valeur ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptée a charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé à 3 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende, au plus.

Précisons tout d’abord que l’affaire a été « correctionnalisée », l’ex-salarié ayant ainsi échappé à la Cour d’Assises dans la mesure où les informations confidentielles menaçant la nation ont seulement été collectées et non transmises à une entreprise étrangère car, même s’il pensait avoir pour interlocuteur Bridgestone, il communiquait en définitive avec son ex-employeur, comme cela sera exposé ci-dessous.

L’industriel clermontois, qui s’était constitué partie civile, a néanmoins voulu agir pour l’exemple et faire jurisprudence en la matière.

Le délibéré est désormais attendu pour le 21 juin 2010 et dans l’immédiat, le prévenu demeure présumé innocent.

Préalablement, il reste acquis que l’atteinte aux données confidentielles d’une entreprise reste peu appréhendé par le droit pénal français, dans la mesure où il n’existe pas dans le droit positif français de texte sanctionnant l’appropriation de tels éléments immatériels, comme c’est le cas aux Etats-Unis (ou encore au Royaume-Uni, en Allemagne, au Japon …)(1), à l’exception notamment de ceux réunis ci-dessus.

Si Michelin est très en pointe sur la sécurité de ses secrets d’affaires(2), il n’en demeure pas moins qu’un de ses anciens salariés a bien porté atteinte à son patrimoine informationnel. A cet égard, l’avocat de Michelin a rappelé au tribunal que cette procédure était une première pour l’industriel, aucun autre cas de même nature n’ayant pu être relevé jusqu’à ce jour.

Selon les informations révélées à l’audience, l’examen des faits mettait en évidence que l’ex-salarié d’origine franco-libanaise, à l’issue d’études brillantes réalisées en France et après avoir travaillé pendant près de 6 années consécutives en tant qu’ingénieur au sein de l’entreprise, quittait l’entreprise suite à une démission non équivoque le 31 mars 2007. En juillet de la même année, il s’adressait à Bridgestone – et à d’autres concurrents qui n’ont pas donné suite – pour lui proposer de lui céder pour £ 100,000.00 des données confidentielles concernant des secrets de fabrication et de stratégie de son principal concurrent qu’il avait préalablement copiées sur un disque dur externe. Il les avait d’ailleurs modifiés et actualisés en vue de mieux les valoriser. Dans sa première approche, il déclarait, sous le nom d’Alexander Pablo de Santiago, détenir un fichier complet de 600 Mo, pouvant conférer à son détenteur jusqu’à 5 ans d’avance technologique.

Dans un souci de transparence, Bridgestone a informé Michelin de cette intention, laquelle société a rapidement réagi en entrant en contact avec son ex-salarié sous l’identité du fabricant japonais, utilisant le nom d’emprunt Fukuda, avant qu’il ne soit arrêté en janvier 2008.

Ce cas n’est pas sans rappeler l’affaire Valeo, dans laquelle Li Li Whuang avait été condamnée par le tribunal correctionnel de Versailles à un an d’emprisonnement dont deux mois fermes et 7.000 euros de dommages et intérêts, le 18 décembre 2007. L’étudiante avait effectué chez l’équipementier un stage de février à avril 2005, durant lequel elle avait exporté des informations substantielles qui ont été retrouvées sur ses six ordinateurs personnels, d’une très grande capacité de stockage. Poursuivie pour abus de confiance, accès frauduleux à un système informatique(3) et modification ou suppression des données(4), Li Li Whuang n’avait été condamnée que sur le seul fondement de l’abus de confiance, dans la mesure où il n’avait pas été démontré qu’elle avait collationné ces informations en vue de les transmettre à la concurrence.

D’aucuns avaient donc pu estimer que cette sanction n’avait pas été assez sévère en regard des risques encourus pour l’entreprise.

C’est pourquoi Michelin entend faire de cette affaire un cas d’école.

Au demeurant, le parquet n’a pas retenu la violation des secrets de fabrication, n’ayant sans doute pas cerné la qualification particulière de secrets d’affaires qui reste encore très nébuleuse en regard du droit.

Dès lors, le recueil de renseignements en vue de les livrer à une entreprise étrangère paraît être l’élément le plus solide en l’espèce. En effet, cette spécificité réside dans le fait que certaines données prélevées par le prévenu étaient notamment issues du centre de R&D; de Ladoux, lequelest classé « Etablissement à régime restrictif » (ERR) selon une instruction ministérielle de 1993. En outre, Michelin produit des pneumatiques à usage de véhicules de l’armée et détient des stocks prioritaires en cas d’état de guerre.

A la décharge du prévenu, il a été démontré à l’audience que ce dernier n’a bénéficié d’aucune complicité et qu’il n’existait donc pas d’un réseau d’espionnage autour de sa personne en dépit des fantasmes nourris par certains. Au contraire, il reconnaissait avoir agi seul, en vue, a-t-il déclaré, « d’éprouver son pouvoir de nuisance, (…) par narcissisme », envers son ancien employeur. Au cours de son audition qui a duré plus de deux heures, il qualifiait son acte de « jeu pervers », par « revanche et non par vengeance ». Blessé dans son orgueil, du fait de n’avoir pas vu ses compétences suffisamment reconnues par son employeur, il était désireux de démontrer sa « puissance » envers l’industriel(5).

Cette thèse fut néanmoins condamnée par l’avocat du manufacturier, en démontrant au contraire qu’il avait agi à l’appui d’un plan d’action antérieur à sa démission. A ses yeux, cette intention manifeste se traduisait également par l’anonymat emprunté par le prévenu pour contacter les concurrents, par la modification des données pour leur donner une plus grande valeur marchande, pour avoir envoyé les échantillons depuis un cybercafé, et pour avoir pris contact avec au moins trois concurrents dûment identifiés.

Le parquet reprenait la même argumentation, ajoutant que l’ex-salarié avait collecté les informations sensibles avant son départ délibéré, au travers des correspondances dont il avait été destinataires, mais également par le biais d’accès à des serveurs qui étaient normalement étrangers à sa fonction. De même, l’instruction avait démontré qu’un plan nominatif avait été élaboré en vue d’entrer précisément en contact avec les responsables des entreprises concurrentes.

L’avocat de la défense, pour sa part, tentait de réduire à néant cette thèse, en maintenant que cette action n’était qu’un jeu « pitoyable » selon ses termes, n’ayant pas abouti, en tout état de cause, ni à un détournement, ni à une divulgation de secrets substantiels. Enfin, il excluait l’intention de nuire aux intérêts de la France, hors de propos en l’espèce, et ce d’autant que ce pays était la patrie d’adoption du prévenu après avoir fui, avec sa famille, au début des années 1980, le conflit qui ébranlait le Liban.

Dans l’hypothèse où le tribunal devait entrer en voie de condamnation à l’encontre de l’ex-salarié, il est évident qu’une sanction satisferait la société Michelin.

Pour autant une telle décision ferait-elle jurisprudence en matière d’espionnage industriel ?

Cela n’est pas acquis dans la mesure où le recours à un tel dispositif juridique (atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation) est propre à une entreprise comme Michelin qui est un industriel de taille internationale, pour partie lié aux intérêts stratégiques de la nation.

Tel n’est pas le cas de nombreuses PME qui n’agissent pas dans ce cadre.

Cela démontre la nécessité d’adopter un cadre juridique spécifique à la protection des secrets d’affaires, en dehors du seul périmètre de la sécurité nationale.

Sources:

1 Notons la proposition de loi n°1754 du député Bernard CARAYON, visant à créer un délit d’atteinte à une information économique protégée qui reste actuellement en l’état de projet.

2 A cet égard, Michelin a récemment participé en collaboration avec l’ANSSI, par l’intermédiaire du CDSE, à l’élaboration du passeport énonçant les règles de bonnes conduites pour les déplacements de cadres commerciaux à l’étranger. En outre, l’entreprise a élaboré un procédé interne de classification des données confidentielles allant de 1 à 4.

3 (loi Godfain art.323-1 al 1 du Code pénal) le fait d’accéder ou de se maintenir, frauduleusement, dans tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données est puni de deux ans d’emprisonnement et de 300.00 euros d’amende.

4 art.323-3 du Code pénal) qui est le fait d’introduire frauduleusement des données dans un système de traitement automatisé ou de supprimer ou de modifier frauduleusement les données qu’il contient est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende.

5 Même si le propos est étranger à l’affaire, cela démontre l’efficacité et l’opportunité de la doctrine de retournement utilisée par les services de renseignement et de contre-espionnage. En effet, en vue de recruter une source, il est enseigné la méthode MICE, selon une contraction de termes anglo-saxons signifiant alternativement : Money (argent pour payer les services e la source), Ideology (à l’appui des opinions politiques de la source), Coercition (à savoir l’usage de la violence en vie d’obtenir des informations) et Ego (ou orgueil). Cette dernière technique étant la plus usitée et consistant à flatter la cible en s’adressant à son amour-propre.

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